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mercredi 11 avril 2012

LANGUES NATIONALES DU CAMEROUN EMISION RTS

Contrairement au Sénégal où six langues sont majoritaires, au Cameroun,
aucune des 279 langues n’est dominante. Pour communiquer entre eux, les
Camerounais sont obligés de recourir au français ou à l’anglais. Le français
s’impose comme étant la langue que la majorité des gens comprennent. Par
ailleurs, le choix d’une langue nationale provoque généralement une attitude de
rejet de la part des autres populations, alors que le français reste relativement
« neutre ».
Le bilinguisme institutionnel du Cameroun ne laisse aucune place aux
langues nationales; l'individu qui ne parle que sa langue maternelle est « pris en
otage » dans son propre pays. En dehors de sa région, il n’est plus compris!



2. Théorie de la mort des langues

Bitjaa Kody Z. Denis (2000) a montré, dans une enquête quantitative sur la dynamique des langues à Yaoundé, que l'usage des langues nationales est en voie de disparition jusqu'au sein des ménages endogamiques, bastions présumés de leur usage. À travers cette étude, les adultes francophones déclarent qu'en famille ils utilisent la langue maternelle dans 52% des situations évoquées contre 42% de temps d'utilisation du français. Les jeunes de 10 à 17 ans interrogés dans les mêmes ménages déclarent qu'ils utilisent le français à 70% dans les mêmes situations de communication familiale contre 25% de temps d'utilisation des langues familiales potentielles. D'autre part, 32% des jeunes de 10 à 17 ans interrogés dans la ville de Yaoundé ne parlent aucune langue camerounaise et ont le français comme seule et unique langue de communication. Cette population non locutrice des langues camerounaises croîtra de manière exponentielle à la prochaine génération, car les jeunes qui ne parlent pas les langues locales actuellement ne pourront pas les transmettre à leur progéniture.

Selon Bitjaa Kody Z. D. (2000), les langues camerounaises meurent principalement à cause d'une panne de transmission inter-générationnelle. Leurs locuteurs natifs potentiels (soit 32% des jeunes de l'échantillon) les abandonnent au profit du français, porteur de prestige social et d'intérêt économique. Cette étude valide donc parfaitement la théorie de la mort des langues développée par H.-J. Sasse (1992) et résumée par Albert Valdman (1997: 145):

la communauté bilingue où les langues (a) évoluent en chevauchement fonctionnel plutôt qu'en complémentarité et (b) sont stratifiées socialement, constitue le contexte prototype générateur d'étiolement linguistique. En adoptant la langue socialement dominante comme langue seconde (L2), les locuteurs de la langue dominée cessent de l'utiliser de manière créatrice ( par exemple, abandon des jeux de mots, de proverbes, etc.) et réduisent leurs activités métalinguistiques (par exemple, la correction des erreurs). Il en résulte une transmission imparfaite à la génération suivante, pour laquelle la langue dominée devient la L2. Non seulement les locuteurs de la langue dominée utilisent celle-ci sous une forme profondément réduite, mais ils adoptent une attitude dépréciative envers elle. De plus, conscients de leur manque de compétence, ils évitent de l'utiliser accélérant ainsi son étiolement.

Sur le plan du corpus, en l'absence de structures chargées de leur standardisation, les langues camerounaises sont atteintes de sclérose et ne se régénèrent plus de façon naturelle. Elles se re-lexifient uniquement grâce à l'emprunt aux langues officielles, incapables qu'elles sont devenues de recourir aux ressources internes du système linguistique (dérivation, composition, néologie, etc.) pour créer de nouveaux mots leur permettant de s'adapter à l'évolution socio-économique du pays.



3. La politique linguistique du Cameroun

La politique linguistique d'un pays est la manière dont l'État gère l'utilisation des langues présentes dans tous les secteurs de la vie nationale conformément à l'idéal gouvernemental et aux objectifs socio-économiques et culturels à atteindre.

Pour Ngalasso Nwata Musanji (1981: 281),

avoir une politique linguistique, c'est d'abord prendre conscience que la langue est un fait de culture et un facteur de développement économique et social tout à fait primordial, c'est ensuite chercher à harmoniser les objectifs de communication et d'éducation en langues nationales avec le projet général de développement.

L'idée d'un État - Nation sur le modèle européen (une nation = une ethnie = une langue) fut importée au Cameroun vers la fin du XIXème siècle par le gouvernement colonial allemand. Elle fut ensuite consolidée sous le mandat français, puis reçue comme un précieux héritage par le gouvernement du Cameroun nouvellement indépendant. Sur le plan linguistique, l'objectif visé dans la création de l'État - Nation était l'imposition d'une seule langue à l'ensemble du pays.

Lorsqu'en 1884 le Chancelier allemand Otto von Bismark chargea le Dr Nachtigal de signer des accords avec les chefs Duala, l'Allemagne n'avait pas de politique linguistique préconçue pour le Cameroun. C'est en 1891 que le gouverneur allemand von Zimmerer initia une politique de germanisation du Cameroun dans le but de procurer l'administration de cadres indigènes parlant l'allemand. Mais cette politique tarda à être appliquée dans les écoles et très peu de Camerounais apprirent à parler l'allemand avant la Première Guerre Mondiale.

Sous le mandat puis la tutelle française (1916 -1960), la politique linguistique a été celle de la francisation sans équivoque contre une marginalisation sans exception des langues locales des domaines générateurs de prestige et de revenus économiques, afin de tenir ces langues et leurs locuteurs à l'écart de toute participation au développement du pays.

Les textes précurseurs de la politique linguistique actuellement appliquée au Cameroun sont contenus dans trois arrêtés (1/10/1920, 20/12/1920, 26/12/1924) interdisant l'utilisation des langues locales dans le système éducatif (cf. a.), et dans deux lettres confidentielles de Jules Carde, Haut-Commissaire de la République Française au Cameroun, à ses Chefs de Circonscriptions le 10 août et le 11 octobre 1921 (condensées dans b.), précisant l'objectif de la politique linguistique de la France au Cameroun.

a. La langue française est la seule en usage dans les écoles. Il est interdit aux maîtres de se servir avec leurs élèves des idiomes du pays. (Journal Officiel de l'Etat du Cameroun, 1924: 175).

b. Il faut donc de toute nécessité que vous suiviez avec le plus grand soin le plan de campagne que je vous ai tracé, que vous coordonniez vos efforts, tous les efforts et que le défrichement méthodique et bien concerté ( des autres langues) se poursuive sans hâte comme sans arrêt... (afin de concrétiser) notre volonté de donner aux populations du Cameroun la langue en quelque sorte nationale qu'elles n'ont pas et qui ne saurait être évidemment que celle du peuple à qui est dévolue la souveraineté du pays.

Les Constitutions de la République Fédérale (1961) et de la République Unie (2 juin 1972) furent adoptées dans le même esprit, mais dans le but déclaré de préserver l'Etat - Nation et l'unité nationale si durement acquis.

La Constitution de la République du Cameroun du 18 janvier 1996 est la première depuis l'indépendance du pays en 1960, à porter une mention des langues nationales en son titre premier, article premier, alinéa 3 qui stipule:

a. La République du Cameroun adopte l'anglais et le français comme langues officielles d'égale valeur.

b. Elle garantit la promotion du bilinguisme sur toute l'étendue du territoire.

c. Elle oeuvre pour la protection et la promotion des langues nationales.

La Loi No 98/004 du 14 avril 1998 d'Orientation de l'Éducation au Cameroun, consécutive à la Constitution de 1996, prévoit l'insertion des langues nationales dans le système éducatif afin d'assurer (Titre I, Article 5): la formation des citoyens enracinés dans leur culture, mais ouverts au monde et respectueux de l'intérêt général et du bien commun.


4. Mise en oevre actuelle de la politique linguistique

Des institutions officielles comme le MINEDUC, ses inspections provinciales, départementales et d'arrondissements, le Centre linguistique pilote et ses succursales provinciales, sont dotées d'un personnel enseignant et administratif chargé, entre autres, de la diffusion et du bon usage des langues officielles et langues d'enseignement que sont le français et l'anglais, conformément aux volets a et b de l'article 3 de la Constitution. Le budget de l'Etat du Cameroun prévoit annuellement le financement de la mise en oeuvre de cette politique du bilinguisme officiel.

Parallèlement, le gouvernement de la République du Cameroun ne finance plus la recherche sur les langues locales depuis 1990 et il n'existe aucun organisme d'Etat chargé de la Protection et de la Promotion des langues nationales, troisième objectif linguistique pourtant bien fixé par la Constitution et la Loi d'Orientation de l'Éducation au Cameroun.



5. Conditions d'emergence et de survie des langues nationales

La Loi d'Orientation de l'Éducation au Cameroun préconise l'enseignement de toutes les langues camerounaises afin d'assurer leur survie propre et celle des cultures qu'elles véhiculent. Ses textes d'application, encore attendus, diront peut-être les cycles et classes qui seront affectés par cet enseignement, le statut de langue d'enseignement ou de matière qui leur sera réservé, le quota d'heures hebdomadaire alloué à cet enseignement, les modalités de recrutement, de formation et de promotion du personnel enseignant des langues locales, les structures chargées de la mise en oeuvre de cet enseignement et les sources de son financement.

Dans sa présentation actuelle, si la loi du 14 avril 1998 entrait en vigueur, elle pourrait peut-être sortir les langues camerounaises des oubliettes dans lesquelles les ont forcées les langues coloniales depuis plus d'un siècle. Elle pourrait aussi augmenter la visibilité des langues locales sur le marché linguistique national en leur confiant l'une des fonctions sociolinguistiques les plus importantes, notamment, celle de langue d'enseignement ou de langue enseignée, selon la teneur des textes d'application. Enfin, sous certaines conditions que nous énumérerons plus bas, cette loi peut servir de puissant catalyseur pour un développement rapide et durable du Cameroun car elle offre à tous les citoyens des chances égales d'accès à l'éducation et, ce faisant, le pouvoir de participer à la construction nationale.

Cependant, contrairement à Mba et Chiatoh (2000:19) qui saluent sans réserve les récentes lois et estiment qu'elles contiennent la panacée aux vertus revitalisantes pour les langues moribondes, nous exprimons notre scepticisme et soutenons que la politique linguistique contenue dans la Constitution du 18 janvier 1996 et traduite dans la Loi d'Orientation de l'Éducation au Cameroun du 14 avril 1998 est anachronique et incomplète, principalement parce qu'elle ne cadre pas avec le contexte sociologique camerounais qui valorise uniquement les langues officielles. Elle semble s'inscrire dans le cadre d'un projet de société décentralisée donnant une autonomie suffisante aux communautés locales, districts, arrondissements et mairies, qui sont chargées de son application. À ce titre, la nouvelle politique linguistique fait partie d'une politique générale qui prendra encore quelques décennies à se réaliser. Sa mise en oeuvre dans les conditions sociales actuelles ne pourra qu'essuyer un échec.

Pour nous, l'enseignement d'une langue n'est pas une fin en soi, il n'est qu'une voie amenant à des objectifs de développement socio-économique précis fixés au niveau local ou au niveau national. Une politique d'enseignement des langues locales doit donc s'intégrer dans un projet de société globalisant et destiné à faire des langues locales de véritables outils de développement économique et culturel permettant à leurs détenteurs de participer effectivement à la construction nationale. Cet intérêt économique, sans lequel toute expérience d'enseignement des langues locales est vouée à l'échec, ne transparaît pour l'instant dans aucun des textes prônant l'insertion des langues nationales dans le système éducatif camerounais.

Afin que la future politique linguistique du Cameroun soit couronnée de succès, elle doit être soutenue par l'aménagement d'un cadre de promotion sociale dans les langues camerounaises. Concrètement, quelques préalables doivent précéder son lancement et certaines précautions doivent entourer sa mise en oeuvre. Au nombre de ces conditions:

* Les textes d'application de la Loi d'Orientation de l'Education au Cameroun doivent, entre autres, exprimer clairement les débouchés de la maîtrise orale et écrite de la langue maternelle. Ils préciseront par exemple que les détenteurs d'un Certificat d'Études Primaires Elémentaires, option Langue Nationale, pourront poursuivre sans handicap leurs études secondaires et supérieures, tout comme ils pourront accéder prioritairement à des emplois administratifs rémunérés dans l'agriculture, la santé, l'enseignement, les services d'assistance sociale, dans l'administration centrale ou dans l'administration locale comme officiers et secrétaires d'Etat-civil des mairies afin de mettre un terme aux désastres constatés dans l'orthographe des patronymes des Camerounais. Bref, ces textes doivent instaurer officiellement une diglossie normée (langue nationale / langue officielle) en réservant certains domaines d'activités de la vie nationale aux langues nationales, et d'autres aux langues officielles.

* Une campagne nationale de sensibilisation et de décolonisation des esprits organisée et financée par le gouvernement devra ensuite expliquer aux populations les nouvelles fonctions sociolinguistiques confiées à leurs langues maternelles dans l'optique de l'amélioration de leurs conditions de vie. Cette campagne nationale est absolument nécessaire, parce que ces populations qui ont assisté au dénigrement officiel de leurs langues pendant plus d'un siècle, s'interrogent sur le revirement subit des autorités qui apparaît dans l'esprit de la loi. Elles suspectent les motivations profondes de la nouvelle politique linguistique gouvernementale et certains ne cachent pas de dire qu'elle serait destinée à abrutir leurs enfants afin qu'ils ne participent pas à la gestion des affaires du pays dans l'avenir.

* Une action d'envergure visera la réfection du corpus des langues moribondes afin qu'elles rattrapent le retard incommensurable qu'elles ont accumulé, du fait de leur abandon forcé, dans l'expression des réalités scientifiques et socioculturelles du XXIème siècle. S'agissant du matériel didactique, toute langue candidate à une insertion dans les écoles de son aire d'extension naturelle devra présenter un paquet minimum d'ouvrages didactiques conformes aux programmes et objectifs par niveau fixés par l'institution chargée de la Protection et de la Promotion des langues nationales.

* Des comités de langues, véritables académies travaillant en collaboration étroite avec l'institution chargée de la Protection et de la Promotion des langues nationales, doivent en plus de leur tâche de rédaction des manuels didactiques, se charger de l'animation des activités dans chaque langue enseignée (concours de la meilleure nouvelle, du meilleur roman, de la meilleure bande dessinée, du meilleur auteur, concours d'orthographe, prix de la meilleure chanson en langue maternelle, etc.) pour susciter la créativité et la production littéraire et artistique d'une part, et entretenir la curiosité des apprenants en marge des ouvrages scolaires d'autre part.

* Les tâches statutaires de coordination, de suivi et d'évaluation des enseignements devront être confiées à des experts convaincus du succès de la nouvelle politique linguistique. Ailleurs en Afrique francophone, l'expérimentation de l'enseignement des langues nationales a souvent échoué du fait du manque de conviction des acteurs, du manque de préparation avant le lancement, de la suppression ou de la réduction des budgets initialement annoncés, ou du mauvais choix des responsables de cet enseignement, parfois véritables chargés de missions de destruction, hier encore farouches opposants à l'enseignement des langues locales, auxquels on a politiquement confié la tâche de couler l'expérience, afin de démontrer l'incapacité des langues africaines à transmettre un savoir, fut-il rudimentaire.

Bitja Kody

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