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lundi 1 août 2011
Cameroun: la France lâche-t-elle Biya?
Des rumeurs, de plus en plus persistantes, font état d'une distance entre la France et le régime du président camerounais Paul Biya. Si leur amitié n'est pas des plus fortes, l'idée d'un «lâchage» ne relève peut-être que du calcul politique.
L’histoire est passée sous silence, et pourtant, elle ne cesse de faire grand bruit. Lors des cérémonies marquant la fête nationale du Cameroun le 20 mai 2011, une absence fut fort remarquée dans les tribunes: celle d’un représentant officiel de la France. Fait inédit, abondamment commenté par la presse locale.
C’était bien la première fois depuis la création de l’Etat unitaire du Cameroun, qu’aucun émissaire français n’assistait aux cérémonies. En 2010, Alain Joyandet, alors secrétaire d’Etat à la Coopération et à la Francophonie, prenait part à la parade militaire quand l’année précédente, le Premier ministre français François Fillon était l’invité officiel de Paul Biya.
Pour les observateurs et commentateurs politiques, ce fut le signe de trop, l’indice qui ne trompe pas: il s’agissait bien d’un «lâchage en règle», comme l’écrivait alors Mutations. Le quotidien camerounais semblait y voir le signe d’un désavœu, ce d’autant plus qu'à la même période, une importante délégation française conduite par le présidentNicolas Sarkozy se rendait, le 21 mai, à la cérémonie d’investiture d’Alassane Ouattara à la tête de la Côte d’Ivoire.
Un indice qui s’ajoute à un autre, tout aussi évocateur: Nicolas Sarkozy n’a pas effectué de visite au Cameroun depuis son élection en 2007, alors qu’il s’est rendu plusieurs fois sur le continent et même dans des pays très voisins comme le Gabon ou le Tchad. Fait inédit, là encore, puisque tous les prédécesseurs du chef de l'Etat français, depuis Charles de Gaulle, ont fait le déplacement jusqu'à Yaoundé.
Tout ceci a contribué ainsi à alimenter des rumeurs de relations pas très cordiales entre les présidents français et camerounais.
Je t'aime, moi non plus
C’est en plein milieu de cette controverse qu'Henri de Raincourt, le ministre français en charge de la Coopération, est arrivé dans la capitale camerounaise le 30 juin dernier pour tenir un discours perçu par certains comme assez distant vis-à-vis du régime du président Paul Biya:
«La France souhaite que la prochaine élection présidentielle se déroule le mieux possible et dans la transparence. La France fait confiance à la démocratie, à la sagesse des peuples pour se choisir les représentants qu’ils désirent», a-t-il affirméau quotidien Le Jour.
Ces déclarations font suite à un message du même acabit adressé par la secrétaire d’Etat américaine, Hillary Clinton, au peuple camerounais, où elle formule le vœu de «voir les Camerounais exercer leur droit de vote au plus tard cette année, lors d’une élection présidentielle, libre, transparente et crédible».
Même si Henri de Raincourt a pris grand soin de rappeler que les relations entre Paris et Yaoundé étaient au beau fixe, sa déclaration selon laquelle la «France n’a pas de candidat à la présidentielle» a vite été interprétée par les adversaires de Biya comme un lâchage de l’un des principaux partenaires du Cameroun.
Ce qui fait dire à Jean-Michel Nintcheu, député et vice-président du Social Democratic Front, le principal parti d’opposition au Cameroun, qu’il s’agit d’une prise de conscience tardive, peut-être favorisée par le syndrome tunisien:
«Ces mises en garde de la France ne sont qu’une manière d’anticiper sur un éventuel printemps arabe camerounais et subsaharien. Mais nous devons continuer la bataille pour une alternance démocratique dans notre pays.
La véritable question, c’est quel rôle le peuple lui-même peut jouer dans ce sens. Car les partenaires étrangers ne pourront que soutenir nos actions. Biya ne partira qu’à la suite d’un mouvement populaire.»
Pour le député, l’attitude de la France est sans équivoque: le chef de l’Etat camerounais subirait actuellement des pressions pour ne pas se porter candidat à sa propre succession lors du scrutin théoriquement prévu en octobre 2011. Des pressions qui viendraient d’ailleurs aussi des Etats-Unis, où une visite de Paul Biya été annulée au dernier moment au mois de juin.
Entre fantasme et réalité
Sans être aussi alarmiste que les adversaires du chef de l’Etat, le célèbre éditorialiste Jean-Vincent Tchienehom admet tout de même que les rapports ne sont pas au beau fixe entre Sarkozy et Biya:
«Il n’y a pas un soupçon d’amitié entre les deux. L’indicateur le plus flagrant, c’est que Sarkozy ne s'est jamais rendu au Cameroun. Pourtant, ce pays est incontestablement le leader dans toute la sous-région d’Afrique centrale.
Le second élément, et peut-être le plus important, c’est le mauvais bilan en matière de droits de l’homme. Les rapports accablants se succèdent dans ce sens. Et la France perçoit très bien la nécessité de se démarquer d’un régime qui, en 29 ans, a multiplié les atteintes aux libertés fondamentales des citoyens et aux droits humains.»
Le vent de contestation populaire qui a soufflé sur le Maghreb et la grogne sociale qui plane dans de nombreux pays africains seraient-ils seuls à l’origine d’un «lâchage» de Biya par la France, si cela était avéré?
L’argument vaut son pesant d’or, mais il convient d’ajouter que la diplomatie camerounaise elle-même n’a pas montré de signes particuliers de dynamisme. «La diplomatie de présence et de rayonnement», tant promue par le président du Cameroun lors de ses premières années au pouvoir, s’est muée depuis longtemps en une politique de la chaise vide. Au point de faire dire à un chroniqueur de la presse privée, qui a requis l’anonymat:
«Si la France ne s’intéresse pas au Cameroun, s’est bien aussi parce que le régime de Biya a l’air de ne pas trop s’intéresser aux affaires du monde.»
Le politologue Stéphane Akoa, chercheur à la Fondation Paul Ango Ela, est beaucoup plus nuancé. Certes, il existe au Cameroun des risques que survienne ce que l’on n’a pas vu venir en Tunisie, en Egypte ou en Côte d’Ivoire. Mais pour le spécialiste des relations internationales, les supputations actuelles sur les rapports entre les deux présidents trouvent leur source dans les fantasmes qui ont toujours nourri les relations entre la France et le Cameroun:
«La France ne lâche pas Biya. Il se trouve simplement qu'au fond, Nicolas Sarkozy n’a aucun lien étroit avec l’Afrique —contrairement à tous ses prédécesseurs. Les affinités qu’il peut avoir avec tel ou tel pays ne sont donc que tributaires des liens que ses conseillers ont avec eux. Et il se trouve que presqu'aucun, parmi ses conseillers les plus influents, n’a d’accointance particulière avec le Cameroun.»
Mais tout ceci ne semble pas suffisant pour parler d’une distance ou d’une indifférence de Paris à l’égard de Yaoundé. Les liens entre les deux pays sont trop forts, trop anciens pour ne pas être pris en compte. Les intérêts bilatéraux sont suffisamment importants pour que le régime de Biya ne soit pas «banni» du jour au lendemain.
La réalité d’une distance de Paris vis-à-vis de Paul Biya n’est pas fausse, même si ce dernier a effectué au moins trois voyages officiels en France depuis 2007. La fermeté en matière de respect des droits de l’homme dont font montre Paris et les Etats-Unis n’est pas non plus fabriquée. Mais le «lâchage» dont la presse camerounaise parle depuis plusieurs mois n’est peut-être qu’un épouvantail fantasmé par une opposition à court d’idées pour mettre en place une véritable alternance.
Raoul Mbog
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